Extraits de lecture de "Ni toi ni moi" de Camille Laurens, 2006.
J'ai glané les extraits qui vont suivre dans un livre de Camille Laurens, "Ni toi ni moi", éditions POL, 2006.
Il me regardait du haut du panier de "la zone de gratuité" dans le café dans lequel j'étais. Le regard du livre qui en dit long sur son envie de se faire adopter, qui souhaite quitter le dessus du panier pour venir s'interposer confortablement entre mes mains et mon regard. Un livre qui tombe bien, compte-tenu des différentes histoires qui me sont confiées, compte-tenu de cette histoire de l'Amour, espéré, vécu, sublimé, comblé, questionnant encore et encore notre valeur pour nous-même dans les yeux d'un autre ou résistant à cette tentation d'un miroir par trop illusoire.
C'est un livre construit de façon particulière où se rassemblent sous la forme d'un roman, les fragments de correspondance par mails entre un jeune réalisateur qui souhaite adapter un livre de l'auteur au cinéma et l'auteur elle-même.
Il s'agit aussi de la naissance de l'écriture..., qui comme l'amour connait des rencontres, des ruptures, bien des doutes mêlés de joies...
"Par ailleurs, j'ai conservé dans cette correspondance toutes les pièces-jointes -brouillons de romans, fragments, notes sans suite, propositions de plans...- mais également celles que je n'ai pas envoyées, et qui figurent ici sous la mention "corbeille". Tout cela fait du présent livre une sorte de chantier mental, avec son désordre, ses rebuts et ses doutes. Mais y a t'il une autre manière d'approcher le réel que de suivre sans les canaliser les flux dont nous sommes traversés, charroi de mots et d'images où le chaos, malgré tout, prend forme -forme humaine-, et où l'on peut dans un reflet incertain et dépoli, quelquefois, comme en d'autres yeux, s'apercevoir de soi ?" p 12
Un extrait de "Ni toi ni moi", de Camille Laurens, 2006, POL, p 105
"Au début, c'était super. On a les mêmes goûts, la voile, les balades en forêt, le ciné. Et au lit, c'était pas mal du tout. Mais elle déteste Brel, et ça, c'était rédhibitoire. Et puis elle a un peu de moustache. Je n'ai rien, absolument rien trouvé ni dans sa tête ni dans son cœur. C'était un parlage perpétuel, un être sautillant et bavard. L'aimer lui ferait sûrement plaisir. On a correspondu pendant un mois, j'avais bien flashé sur elle, on se racontait des trucs super intimes. Finalement, on s'est vus, elle était plutôt jolie, mais j'ai pas aimé les trucs qu'elle a choisi au restau - que des choses grasses, je sais plus quoi, genre un steak tartare avec des frites, enfin pas du tout féminine. Le hasard ou l'instinct m'ont conduit aujourd'hui chez des amis où se trouvait Amélie. Elle était mal fagotée et presque laide. Évidemment, la reproduction perpétuelle de cette circonstance serait l'un des inconvénients du mariage. C'est un fait : elle m'a bien déplu. On a vécu deux mois ensemble, mais mon chien ne l'aimait pas. Je l'épouserai si je veux, mais pas sans être sûr qu'elle me considèrera comme un être supérieur à elle. Je la veux, mais à mes conditions. On a couché deux, trois fois ensemble, ça allait, mais bon, moi, j'ai toujours eu des filles avec beaucoup de poitrine, mon ex s'était même fait mettre des prothèses pour augmenter le volume, alors là, me retrouver avec rien sous la main, je sais pas, c'était pas possible, j'ai été obligé de lui dire. Amélie veut m'épouser, cela est clair, il n'y a même que cela qui est clair. Quand je me la représente devenue ma femme et transportée dans une campagne près de Paris, où mes amis viendraient me voir, mon front se couvre de sueur. Si encore elle était très belle. Mais elle n'est rien. Elle n'est même pas assez intelligente pour m'aimer. J'ai failli l'épouser, mais sa mère était une mocheté intégrale, je me suis dit qu'elle allait mal évoluer ; et puis j'ai rencontré une autre meuf. Ai-je tort ? Ai-je raison ? Je reviens à Amélie. Elle a de la niaiserie, mais elle est bonne. C'est une existence si peu appuyée que la dominer serait facile. J'ai été super-déçu, par rapport à la photo. Je me fatigue de ce que j'ai et je regrette ce que je n'ai pas. On ne sais pas pourquoi un sims avec qui on s'entend bien ne veut pas aller plus loin. On a beau faire tout ce qu'on peut pour le rendre heureux, lui parler, le nourrir, le faire aller aux toilettes, pourtant, si on veut l'embrasser, on se prend une baffe. Cette nuit, j'ai rêvé d'Amélie. Je l'aime beaucoup plus quand je ne la vois pas que quand je la vois."
Un extrait de "Ni toi ni moi", de Camille Laurens, 2006, POL, p 62
" Toute la journée, j'ai attendu d'être libre pour pouvoir vous écrire. J'ai tenu avec maladresse des conversations étrangères à mon coeur. C'était des sons qui touchaient mon oreille sans me communiquer ni sens, ni pensée, ni sentiment. Tout sauf vous m'est étranger. Le monde ne m'est plus rien. Je vous aime, je vous admire. Je suis heureux de vous connaître. Je suis heureux d'avoir rencontré une femme telle que je l'avais imaginée, telle que j'avais renoncée à la trouver et sans laquelle j'errais en m'étourdissant avec effort. Avec vous dans mon cœur je vaux plus que moi-même. Vous êtes belle, vous êtes forte, vous êtes généreuse. Je voudrais prendre toutes vos peines et vous léguer tous mes jours heureux. Je vous aimerai toujours, jamais aucune pensée ne m'occupera. Je suis fait pour vous, vous êtes le seul être qui réponde à mon coeur et remplisse mon imagination. Tout ce qui est vous est noble, pur et beau. Oh ! Dites-moi que vous m'aimez, dites moi que rien ne nous séparera. J'attends de vous revoir, et d'ici là je n'aurai qu'une pensée, je serai entouré d'une seule image."
Un extrait de "Ni toi ni moi", de Camille Laurens, 2006, POL, p 104
" Je veux me marier. Il faut me marier. mais avec qui ? J'ai besoin d'une femme qui me suive, dont le bonheur soit aisé à faire, dont l'existence inoffensive se plie sans effort à la mienne ; j'ai besoin d'une femme presque inaperçue, qui soit une partie douce, intime et légère de ma vie. Cherche mère de mes futurs enfants. Mais cette femme, où la trouver ? La médiocrité ne garantit rien de tout cela, et l'intelligence menace du contraire. Cherche femme de ma vie. Douce intelligente, sensible. Physique indifférent. 1,65 m maximum. Jamais aucune femme ne sera plus proche de mon âme que Minne. Mais quelle occupation, quelle élévation, quelle domination ! C'est insupportable. Ce qu'il faut, c'est qu'une femme n'ait point d'opinion. Mon esprit se suffit à lui-même, il n'est pas nécessaire que ma femme en ait, il faut seulement qu'elle n'ait point de ridicule. J'avais mis "physique indifférent", mais ça ne voulait pas dire qu'on pouvait avoir les oreilles décollées ! J'ai causé hier au bal avec Amélie. Elle n'est pas très jolie, mais elle est piquante. Les yeux sont beaux. Elle est assez bien mise : le rose lui va bien. "